Céline LETEMPLÉ

Présidente du jury d’UMS
Directrice de l’Univerciné W.I.S.E. Film Festival

L’amazone

« Lorsque l’esprit est libre, le corps est délicat ». William Shakespeare.

Elle a dans la voix cette délicatesse de ceux qui veulent transmettre sans brusquer, elle porte sur le visage la douceur de celles qui comprennent, elle semble voler tant elle entre à pas feutrés… tout en Céline Letemplé trahit un esprit libre. 

Présidente du jury d’Under My Screen cette année, la directrice de l’Univerciné W.I.S.E. Film Festival de Nantes, consacré au cinéma gallois, irlandais, écossais et anglais (Welsh, Irish, Scottish, English), va pouvoir échanger et voyager, deux grandes sources de bonheur si l’on en croit l’intéressée. « Je pense que ce qui a vraiment compté dans ma vie, ce sont les voyages et les séjours que j’ai pu effectuer à l’étranger. Ce sont des moments forts où l’on rencontre des personnes qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous et qui ne parlent pas comme nous. Se frotter à cette altérité-là, c’est ça qui fait vraiment grandir et évoluer dans la vie. Cela permet de relativiser beaucoup de choses, de mieux comprendre les autres, de développer une forme d’empathie qui est très utile dans le quotidien et qui manque parfois cruellement dans la société. Aujourd’hui je n’ai plus l’occasion de séjourner pour de longues périodes à l’étranger donc je voyage à travers le cinéma, j’essaie de ressentir de nouveau ce sentiment qui naît lorsqu’on rentre dans un autre univers et qu’il devient familier. C’est aussi à travers les rencontres avec les réalisateurs et réalisatrices mais aussi les acteurs et les actrices que je voyage et m’immerge dans des mondes différents. »

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, du Cycle Supérieur d’Études Américaines de Sciences Po Paris, agrégée d’anglais, diplômée d’un DEA en civilisation américaine, et boursière en 2005 au département de sciences politiques d’Harvard, aujourd’hui professeure d’anglais à l’Université de Nantes, notre surdiplômée aime éprouver, enseigner et transmettre : « j’ai commencé ma carrière d’enseignante en 2001, en Chine, où j’ai travaillé pendant un an en tant que lectrice de français à l’Université de Pékin. C’était une expérience fascinante. Je découvrais une langue, une culture, un pays complètement étranger et j’ai appris énormément de choses. Chaque jour était plein de surprises, d’étonnement et de découvertes. J’ai perdu tous mes repères mais j’étais aussi une ambassadrice de ma propre culture et de ma propre langue. Et j’ai notamment et naturellement voulu faire connaître la France à mes étudiants et étudiantes à travers le cinéma. Déjà à l’époque je pensais que le cinéma était un moyen privilégié pour découvrir un pays, initier un dialogue entre les cultures et créer une compréhension mutuelle entre des gens d’horizons très différents. J’ai donc créé un ciné-club grâce au soutien de l’Ambassade de France en Chine. Plusieurs dizaines d’étudiants chinois venaient assister aux projections au tout début des années 2000, à une époque où la Chine venait d’intégrer l’OMC et commençait à s’ouvrir au monde. Et puis un autre moment marquant a été quand je suis devenue directrice du festival Univerciné britannique à Nantes en 2017. Depuis je peux vraiment combiner mon travail d’enseignante universitaire et ma passion pour le cinéma tout en impliquant les étudiants et les étudiantes dans le travail de programmation et de communication autour du festival. C’est très important pour moi d’être une sorte de guide qui leur fait découvrir des choses à travers des œuvres cinématographiques vues collectivement. Il y a quelque chose d’unique à partager ces expériences dans un projet pédagogique qui permet de décloisonner, de faire tomber les barrières entre l’université et le monde extérieur mais aussi entre l’enseignant et les étudiants. Le cinéma est un art rassembleur qui n’a cette vertu que s’il est partagé à travers une expérience humaine collective dans une salle. C’est seulement dans ces conditions qu’il mène à de vrais échanges. » 

Férue de sciences sociales, notre Présidente de jury se passionne depuis longtemps pour le cinéma britannique et irlandais, un cinéma au réalisme social très marqué. « La façon dont ce cinéma traduit les interactions entre les individus, les interactions de ces mêmes individus avec la société, me fascine et chaque année, je trouve les réalisateurs, leurs films et leurs acteurs de plus en plus prometteurs ». Son film préféré ? une co-production irlando-britannique, « Les Banshees d’Inisherin » de Martin McDonagh . Une histoire d’amitié contrariée au réalisme très marqué avec une tonalité très sombre mettant en relief la profondeur des personnages, leur sensibilité et leur besoin éperdu de trouver leur place dans la société. « Une fable mélancolique portée par des acteurs époustouflants qui oscille très habilement entre tragédie, horreur et comédie dans des paysages irlandais somptueux. On ne sait pas si on doit rire ou pleurer mais on est transporté et ébahi. »

En bon esprit libre, avide d’ailleurs, de grand air et d’aventure, le personnage dans lequel notre Présidente souhaiterait être réincarnée, en dit long : « Je pense que j’aurais adoré vivre la vie de Grace O’Malley, cette femme pirate irlandaise féministe et aventurière, aussi déterminée à vivre sa vie librement que farouchement indépendante et courageuse. Au 16ème siècle, à une époque où les femmes pouvaient rarement s’émanciper, elle est devenue cheffe de clan. Elle s’est farouchement opposée à la colonisation anglaise et a osé défier le pouvoir de la reine Elisabeth I dont elle ne reconnaissait pas l’autorité sur l’Irlande. Malgré cela, elle a réussi à faire libérer les membres de sa famille qui avaient été capturés par les Anglais en négociant avec la reine. C’est une héroïne irlandaise qui a défendu son pays coûte que coûte et qui incarne cet idéal de résistance à différentes formes de domination ». Du coup, enfermée à Buckingham, on comprend la réaction de Céline Letemplé : « je pense que j’étoufferais dans tout ce luxe et que je chercherais à m’échapper par tous les moyens. Je ne pourrais pas m’y sentir bien, j’aurais l’impression de ne pas être à ma place et de devoir jouer un rôle qui ne me correspond pas du tout. Si j’étais vraiment enfermée, je chercherais la bibliothèque et la salle de projection privée du palais pour m’échapper à travers la littérature et le cinéma. Il doit y avoir des centaines de livres mais sans doute aussi beaucoup de films à regarder ! Sans doute de quoi tenir une vie entière ! »

  • Dites, Céline, quelle est votre définition du festival idéal ?
  • Un festival où tous les genres sont représentés et où tous les publics peuvent trouver leur bonheur. Pour moi, un festival, c’est avant tout un lieu de rencontres, de partage et de découverte où le public peut dialoguer avec des invités venus d’ailleurs et découvrir des films qui ouvrent de nouveaux horizons. C’est aussi un moment où on peut révéler les talents de demain et donner leur chance aux jeunes réalisatrices et réalisateurs. C’est aussi un festival tourné vers les publics, qui leur permet d’accéder à une meilleure compréhension du monde et au plaisir de partager une aventure humaine commune.

Réponse d’initiée. 

Au terme de ce portrait, où semble se dessiner une femme libre, déterminée, accro à l’aventure et à l’altérité, je crois que le jury, cette année, a trouvé son amazone du cinéma anglais…