Nathanaël MAÏNI
Le Bâtisseur de ponts
« Chacun sait qu’il est stupide de prendre ses désirs pour des réalités et tragique de renoncer à ses désirs au nom de la réalité, et vain d’espérer transformer tous ses désirs en réalités… mais alors quels sont les ponts qu’on peut chercher à jeter entre ces deux mondes ? » Désirs et réalités. Nancy Huston.
A cette question, Nathanaël Maïni s’est promis d’y répondre depuis l’âge de 14 ans. Nous sommes alors en 1993, il est en 3e au collège du vieux lycée de Bastia. « Déjà convaincu de la voie que je voulais emprunter, je rencontre la conseillère d’orientation de l’établissement. Je lui fais part de mon projet artistique d’avenir et elle me répond : ce n’est pas un métier ! »
Six mois plus tard, il intègre le conservatoire d’art dramatique d’Avignon pour trois années de formation professionnelle et jette à la fois les bases d’une carrière rythmée par les désirs devenus réalités et des ponts vers des Ailleurs qui deviennent de formidables terrains d’expression. Parmi eux, le Japon, qu’il découvre grâce à Morio Matsui, grand peintre japonais résidant à Ajaccio et avec lequel il va collaborer pendant 10 ans. Puis le Cambodge, en 2019, où il décide de poser ses valises et une partie de son cœur. « Un voyage entrepris par hasard, surpris par la pandémie de la Covid et une destination devenue une évidence. J’ai pu, là-bas, créer des ponts culturels et transformer des rêves en réalités ».
Là-Bas, il dirige la troupe de théâtre francophone de Phnom Penh , avec laquelle il met en scène « La cantatrice chauve » de Ionesco à l’Ikigai Art Center, puis « Danser à Lughnasa » de l’ Irlandais Brian Friel représentée à l’Institut français, et pour conjurer le mauvais sort de cette fameuse conseillère de (dés)orientation, il devient professeur de théâtre au Lycée Français de la capitale cambodgienne. Puis à l’Université de Corse où il accompagne aujourd’hui les étudiants de troisième année d’art du spectacle.
« Mon métier de comédien me passionne comme au premier jour et transmettre contribue à mon équilibre. La voix, le corps, les textes, l’écoute, la confiance, tout cela s’éprouve, se travaille, et je considère que nous sommes en formation tout au long de la vie. Qu’elle soit de Phnom Penh ou de Corte, la jeunesse m’enthousiasme et l’accompagner sur le chemin de la création participe à mon épanouissement. Que les élèves se destinent à s’engager dans une voie artistique ou autre, je suis là pour essayer de leur transmettre quelques outils supplémentaires, utiles pour leur parcours futur. »
Des outils que Nathanaël va mettre en pratique dès l’an prochain sur les scènes de Corse dans « Le roi se meurt » de Ionesco produit par la compagnie Animal 2nd et dans « Bruit », pièce écrite et mise en scène par Remy Tenneroni, dramaturge, metteur en scène et scénariste corse.
Hors les planches
A 20 ans, il rencontre Louis-Do de Lencquesaing et devient son assistant à la mise en scène pour « scènes étrangères », au studio théâtre de la Comédie- Française.
En 2008, la rencontre avec le producteur Silvio Horta lui offre l’opportunité d’intégrer la distribution de la série américaine Ugly betty pour quatre épisodes, il découvre les Raleigh studios d’Hollywood et se perfectionne auprès de la coach d’acteur Susan Batson.
Quatre ans plus tard, un déclic : « dirigé par Pierre Schoeller, ma participation au film “Les Anonymes” représente un tournant dans mon plaisir de tourner. Jusque-là j’estimais que mon “vrai” métier était sur une scène de théâtre. »
En 2014, il est invité pour la première fois à Cannes pour le film “Je suis un soldat” de Laurent Larivière dans la sélection un certain regard, puis est nommé dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle au festival Jean Carmet.
En 2016, après avoir tourné dans « Fidelio, l’odyssée d’Alice », il transforme l’essai avec la réalisatrice Lucie Borleteau et joue dans la série « Cannabis » d’Arte.
Théâtre classique ou contemporain, série télévisée à succès ou plus confidentielle, cinema d’auteur ou grand public, acteur ou metteur en scène, en Corse ou dans des pays lointains, quitte à choisir autant tout vivre! Quand il voit une frontière il construit un pont.
« J’ai fait une école pour devenir comédien mais la mise en scène est un art que j’ai appris concrètement en travaillant aux côtés de personnalités aux univers très différents. Aujourd’hui, mon imaginaire est constitué de toutes leurs influences »
Un nouveau désir devenu réalité… grâce à la confiance, l’inventivité et l’opiniâtreté du producteur Jean-Pierre Alessandri, associées au regard talentueux de Thibaud Quilichini, il réalise en 2024 son premier film documentaire, « Le monde est un théâtre », un road movie entre le Cap Corse et le Donegal, comté situé au nord-ouest de l’Irlande. « Nous avons tous ensemble tenté d’ériger un pont artistique et humain entre le Cap Corse, avec sa troupe de théâtre Cap in scena (qu’il dirige depuis 15 ans) et le An grianan theatre de Letterkenny, dans le Donegal natal de Brian Friel, l’auteur de Danser à Lughnasa »
Une co-production Ramona productions et France 3 Corse Via Stella, ce documentaire est programmé au festival Under my screen, cette année.
Des rêves, des ponts… Nathanaël Maïni n’a de cesse d’en imaginer et sa définition du festival idéal le confirme : « le festival idéal serait selon moi un véritable lieu de rencontre et d’échange, à la fois sérieux et exigeant dans sa proposition et aussi chaleureux et festif pour les participants. »
- Dites Nathanaël, quel est le personnage anglais dans lequel vous souhaiteriez être réincarné ?
- Pour du court terme, quelques journées dans la vie de James Boswell, sur du plus long terme dans celle de Jude Law, pourquoi s’embêter ? Son Hamlet vu à Broadway reste pour moi inoubliable…
- Dites Nathanaël, si vous étiez enfermé à Buckingham, qu’est-ce que vous feriez ?
- Sans hésiter, je me ferais ouvrir les portes de la fabuleuse collection au million d’œuvres d’art.
- Dites Nathanaël, quel est votre film anglais préféré ?
- Billy Elliot. Superbe allégorie du courage qu’il faut avoir pour réaliser ses rêves. « J’ai 21 ans pour la sortie du film de Stephen Daldry. Il me marquera pour longtemps ». CQFD
Morio Matsui a un jour déclaré avoir représenté le cœur du Christ « qui tend la main à tout le monde, à travers l’Art », espérant que les gens du monde entier puissent « ressentir une connexion dans le cœur ». Riche de toutes ses rencontres et voyages, bien arrimé par ses convictions qui le tenaillent depuis qu’il est adolescent, porté par son talent qu’il enrichit à chaque instant et guidé par ses rêves et ses explorations, Nathanaël Maïni jette des ponts et, comme par magie, fabrique des connexions.
Il sera membre du jury Under My Screen pour cette XVe édition, celle de l’Inédit.